Le module Nauka arrive en orbite après une odyssée de presque trois décennies

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
22 juillet 2021 à 12h07
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L'écusson officiel du lancement du module scientifique MLM Nauka. Crédits Roscosmos
L'écusson officiel du lancement du module scientifique MLM Nauka. Crédits Roscosmos

Le nouveau module scientifique russe sera amarré à l'ISS d'ici quelques jours, après son décollage sous la coiffe d'une fusée Proton ce 21 juillet. Décrié, parfois décrit comme le projet le plus en retard du spatial russe, le « MLM » Nauka aura vécu avant l'orbite des dizaines d'années d'aventure.

C'est un peu une ode à tous les projets qu'on repousse indéfiniment.

Faucon millenial

Il faut remonter pratiquement à l'origine de l'ISS, peu après les accords de 1993 entre les différents partenaires de la future station spatiale internationale, pour expliquer la genèse de ce module qui a décollé ce 21 juillet 2021. Incroyable… et pourtant ! Lorsque les Etats-Unis ont accepté de payer l'industriel russe Khrounitchev pour construire la première grande « brique » de l'ISS, le module Zarya (qui a décollé en 1998), ce dernier a pris les devants pour s'assurer qu'en cas d'échec, il y aurait une solution de secours. Une copie de Zarya, qui n'était pas terminée au moment où ce dernier est arrivé avec succès en orbite, a donc été stockée à la fin des années 90.

Toutefois, alors que l'assemblage de la partie russe de la station internationale arrivait à son terme, le manque de capacité pour des expériences scientifiques s'est fait sentir. En effet, Zarya sert essentiellement à du stockage de longue durée. Zvezda est le « cœur » de toute l'ISS et sert donc de module de pilotage, d'observation, d'amarrage, etc. Et les modules plus petits que sont Pirs, Poisk et Rassviet ne sont pas adaptés pour agir, comme les grands segments américain (Destiny), européen (Columbus) et japonais (Kibo), en véritables laboratoires volants. La décision est donc prise, au tout début des années 2000, de disposer d'un module scientifique : le MLM Nauka (« science », en russe). Voilà qui tombe bien pour Krounitchev, qui dispose dans un hangar de sa « copie » de Zarya ! Il suffira donc de reprendre l'intérieur, de l'adapter et de préparer le module pour son vol… Non ?

Le module MLM Nauka lors de sa préparation en 2021. Crédits Roscosmos
Le module MLM Nauka lors de sa préparation en 2021. Crédits Roscosmos

Surprises, surprises

Malheureusement, les choses ne sont pas si simples. Pour commencer, le fameux stockage du module n'était pas vraiment une mise sous cocon, comme on le voit parfois pour d'autres projets spatiaux. Le gros compartiment (13 m de long, pratiquement 4,5 m de diamètre) n'est pas protégé, et certaines de ses pièces ont été ferraillées par erreur. Le résultat est catastrophique : les réservoirs externes du MLM, qui sont des composants sur mesure évidemment réalisés par des entreprises qui n'existent plus, sont endommagés… Lors de tests dans la deuxième moitié des années 2000, de la limaille de fer est découverte dans une partie de la tuyauterie.

Le décollage de Nauka, initialement envisagé en 2003 et plus ou moins sérieusement prévu en 2007, est repoussé à 2013. Puis il y a eu d'autres soucis d'étanchéité nécessitant de changer des joints (périmés), une nouvelle inspection de la plomberie… On arrive en 2016-17. Cette fois, il est décidé de commander de nouveaux réservoirs. Puis en 2018, décision inverse : la réparation des anciens sera finalement suffisante.

La mise sous coiffe de Nauka à Baïkonour, un événement longtemps attendu et minutieusement préparé. Crédits Roscosmos
La mise sous coiffe de Nauka à Baïkonour, un événement longtemps attendu et minutieusement préparé. Crédits Roscosmos

Une checklist de 20 ans

Ces deux dernières années, la plupart de ceux qui suivent le dossier de Nauka depuis longtemps s'attendent à chaque étape à un nouveau report. Il y en a eu quelques-uns bien sûr, mais ce ne furent que des détails mineurs. Après une nouvelle préparation, le module arrive à Baïkonour le 19 août 2020 pour recevoir ses équipements intérieurs, subir ses derniers préparatifs et une dernière batterie de tests, notamment en chambre à vide. Et cette fois, ça fonctionne ! Le MLM Nauka est équipé pour son décollage le 21 juillet 2021.

Il faut noter que l'agence spatiale européenne fut très concernée par cette dernière phase de préparatifs, car Nauka embarque sur son flanc un matériel inédit : le bras robotisé ERA (European Robotic Arm), le premier du genre conçu en Europe. Long de 11,3 mètres, c'est une très intéressante démonstration technologique… qui prend la poussière depuis 20 ans au sol dans l'attente de son décollage depuis la Russie. Heureusement, le programme devrait enfin porter ses fruits !

Le bras ERA pourra même être piloté par les astronautes à l'extérieur de la station. Crédits ESA
Le bras ERA pourra même être piloté par les astronautes à l'extérieur de la station. Crédits ESA

Le lanceur Proton-M effectuait son premier décollage depuis juillet 2020 à l'occasion de ce lancement : face à la concurrence américaine et la crise des gros satellites, il est en perte de vitesse avant sa retraite prévue en 2025… Mais les équipes qui ont eu le temps de préparer la campagne de tir n'ont pas démérité ! Le décollage a eu lieu depuis Baïkonour à 16h58 (Paris), et la fusée a utilisé ses trois étages en 9 minutes et 40 secondes pour envoyer Nauka en orbite basse, à environ 190 x 350 kilomètres d'altitude. Avec ses 20 tonnes sur la balance, c'est le maximum que pouvait transporter Proton ! Le décollage s'est déroulé sans anicroche.

Une semaine avant de rejoindre la famille

Avant d'être un module de la station spatiale internationale, Nauka est un véhicule indépendant. Il volera donc seul durant 8 jours pour se rapprocher de l'ISS, avant de venir s'y amarrer automatiquement et de devenir un ajout permanent. Il faut d'ailleurs noter que son arrivée fait l'objet d'un ballet entre anciens et nouveaux éléments du segment russe : durant l'approche de Nauka, le petit module-sas Pirs sera évacué (à l'aide d'un cargo Progress) avant d'aller se désintégrer dans l'atmosphère.

Proton sur son site de lancement à Baïkonour. Le lanceur n'a pas failli. Crédits Roscosmos/TsENKI
Proton sur son site de lancement à Baïkonour. Le lanceur n'a pas failli. Crédits Roscosmos/TsENKI

Une fois amarré, le module MLM Nauka apportera un espace significatif en plus à la partie russe de la station. Près de 70 mètres cubes, une nouvelle cabine pour un cosmonaute en mission longue, de nouvelles toilettes, un système de régénération d'air et d'eau… C'est un véritable espace de vie qui est ajouté. Mais c'est aussi et avant tout un module équipé comme un laboratoire, avec de la place pour 21 expériences de format standard, du rangement, une « boite à gants » isolée… Et ce sans compter des espaces à l'extérieur. Nauka n'est équipé « que » de deux ports d'amarrages, un à l'avant (qui restera en permanence attaché à Zvezda) et un à l'arrière, qui pourra dès la fin de l'été accueillir les véhicules arrivant sur l'ISS grâce au système automatisé Kours, mais aussi servir de sas avec un petit aménagement. Il faudra plusieurs sorties EVA russes sur les flancs du module pour qu'il soit pleinement opérationnel.

La Russie espère, dès l'automne prochain, envoyer un petit module complémentaire nommé Pritchal, qui sera attaché à Nauka et fournira un nouveau « nœud » avec 4 ports d'amarrage disponibles.

Un technicien aménage l'intérieur du module Nauka, début 2021. Crédits Roscosmos
Un technicien aménage l'intérieur du module Nauka, début 2021. Crédits Roscosmos

Grâce à ce lancement réussi, la Russie devrait également clarifier dans les semaines à venir sa vision à long terme de l'évolution « finale » du segment russe de l'ISS et du futur des opérations habitées russes en orbite basse.

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