4 ans après, l’OFII ne peut finalement pas bloquer un compte sur Twitter

4 ans après, l’OFII ne peut finalement pas bloquer un compte sur Twitter

"You're unblocked"

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Martin Clavey

Publié dans

Société numérique

29/03/2023 6 minutes
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4 ans après, l’OFII ne peut finalement pas bloquer un compte sur Twitter

Alors qu'en décembre 2020, en première instance, le tribunal administratif de Paris avait considéré que l'Office Français de l’Immigration et Intégration (OFII) pouvait bloquer certains comptes Twitter de citoyens français, la Cour administrative d'appel s'est prononcée dans le sens inverse.

En août 2021, l'Office Français de l’Immigration et Intégration (OFII) bloquait une liste importante de comptes Twitter évoquant une attaque concertée.

D'une enseignante-chercheuse en droit public à une ancienne vice-bâtonnière de Paris en passant par bien d'autres comptes de personnes évoluant dans le milieu juridique, le compte Twitter @OFII_France ne faisait pas dans la dentelle pour bloquer l'accès à des utilisateurs de Twitter qui réagissaient à son message soutenant qu' « issus des élites, pour moitié des femmes, les Afghans qui ont fui le régime taliban présentent un visage différent de la demande d'asile afghane traditionnelle, des profils propices à une meilleure intégration ». 

L'OFII s'appuyait donc sur la décision du tribunal administrative de Paris du 15 décembre 2020 dans une affaire qui avait opposé l'Office lui-même à Gérard Sadik, coordinateur national sur les questions d’asile au sein de l'association de protection des réfugiés La Cimade. Mais cette semaine, cette décision a été annulée par la Cour administrative d'appel [PDF].

Débat sur l'accès aux publications d'un compte d'un service public

Lundi après-midi, dans un tweet remerciant ses avocats, Gérard Sadik a diffusé la décision trouvant les quatre ans de procédure pour débloquer un compte Twitter, «  c’est un chouïa long ».

Il avait découvert le 20 janvier 2019 avoir été bloqué par le compte Twitter de l'OFII et avait à cœur de renverser cette décision. Selon lui, la décision n'avait été signée par aucune autorité compétente, était insuffisamment motivée et lui bloquait l'accès aux informations du compte Twitter de l'OFII. Mais il évoquait aussi l’article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen (« La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration ») et son article 11 sur la liberté de communication et d’opinion.

Quant à l'Office, celui-ci considérait que le tribunal administratif n'était pas compétent à juger un litige sur l'utilisation d'un réseau social qui relève de conditions d’exécution d’un contrat de droit privé.

En 2020, si le tribunal administratif de Paris avait balayé l'argument de son incompétence, il avait rejeté la demande d'annulation du blocage en expliquant qu'il n'avait « pour effet que de restreindre la capacité de M. Sadik à réagir directement aux tweets publiés par l’OFII sur le fil du compte de l’établissement ». Il ne pouvait donc « être regardé comme ayant eu pour objet de restreindre l’exercice des libertés publiques ». Pour le tribunal de première instance, le fait que le compte était accessible sans être connecté permettait d'accéder aux tweets de l'OFII alors que son compte Twitter était bloqué.

L'accès au débat ne peut être bloqué par une administration

Mais la Cour d'appel en a décidé autrement lundi dernier. Comme la première instance, celle-ci a considéré que le Tribunal administratif était bien compétent en l'espèce. Elle a aussi considéré que le premier jugement avait été suffisamment motivé.

Mais au regard des articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi que de l'article 1er de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, elle considère dans son arrêt que les administrations publiques ne peuvent pas bloquer à tout va les citoyens si elles s'engagent elles-mêmes dans le débat public, sauf en prenant des mesures nécessaires, adaptées et proportionnées contre le harcèlement, les menaces, injures, diffamations ou outrages :

« Lorsqu’une personne morale de droit public agissant dans le cadre de sa mission de service public décide, sans y être tenue, de participer au débat public dans les conditions résultant du fonctionnement d’un réseau social, non seulement en y publiant des informations, mais aussi en réagissant aux commentaires des autres utilisateurs, elle ne peut, sans méconnaître la liberté d’expression et d’accès à l’information et le principe d’égalité devant le service public, interdire ou limiter l’accès de tiers à ses propres publications et leur possibilité de les commenter ou de les réutiliser que par l’adoption de mesures nécessaires, adaptées et proportionnées aux objectifs de protection de l’ordre public ou de la réputation d’autrui, en ce compris la protection des agents publics contre les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages, ainsi qu’aux obligations découlant de sa qualité de responsable des contenus publiés telles qu’elles résultent notamment des règles de droit pénal en vigueur. »

Décision de blocage « entachée d'illégalité »

Et la Cour a bien constaté en l'espèce que l'Office menait « une active politique de communication sur le réseau social Twitter ». Elle rajoute même que « le compte Twitter de l’établissement public révèle une volonté de participation au débat public qui excède la simple délivrance d’informations aux usagers du service public dans le cadre de la neutralité attendue d’un tel service, et qui peut prendre la forme de réponses ou d’interpellations de nature parfois polémique aux autres utilisateurs du réseau social, le directeur général de l’office revendiquant d’ailleurs dans les médias, au surplus, une pratique de « blocage » de l’accès à ce compte des utilisateurs qui le mettent en cause ou critiquent le fonctionnement et les actions de l’établissement public en des termes qu’il estime inappropriés. »

Contrairement au tribunal de première instance, la Cour d'appel prend en compte l'impossibilité, pour Gérard Sadik, d'accéder depuis son compte Twitter à celui de l'Office ainsi que celle de publier des commentaires dans les discussions initiées par l'OFII. Elle constate que le blocage a eu lieu suite à un commentaire qui « se borne à contester l’efficacité du service rendu eu égard aux moyens humains alloués » et dans des termes « dénués de caractère diffamatoire ou injurieux et sans excéder les limites du droit à la libre critique de l’action de la puissance publique dans une société démocratique ».

La Cour considère donc que « la décision de blocage de l’accès du requérant au compte Twitter de l’établissement
présente un caractère disproportionné et est donc entachée d’illégalité
».

En conséquence, la Cour d'appel a annulé le premier jugement, demandé la levée de la décision de blocage du compte Twitter prise par le directeur général de l'OFII. L'Office doit aussi verser 1000 euros à Gérard Sadik.

Écrit par Martin Clavey

Tiens, en parlant de ça :

Sommaire de l'article

Introduction

Débat sur l'accès aux publications d'un compte d'un service public

L'accès au débat ne peut être bloqué par une administration

Décision de blocage « entachée d'illégalité »

Le brief de ce matin n'est pas encore là

Partez acheter vos croissants
Et faites chauffer votre bouilloire,
Le brief arrive dans un instant,
Tout frais du matin, gardez espoir.

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Commentaires (5)


J’ai visité le compte Twitter de l’OFII : ils ont désactivé la possibilité de répondre sous leurs tweets à moins d’être mentionnés.



Ils ont publié un communiqué concernant cette décision qui semble avoir été supprimé puis re-publié après, supposément pour retirer des tweets cités.
D’ailleurs, je ne comprend pas en quoi ceci devrait “altérer” sa présence et encore moins en quoi ça serait au détriment des “utilisateurs” et du débat public. Si quelque chose est en effet contre les règles du réseau social ou de la loi, qu’ils reportent ou poursuivent la personne…



M’enfin, appeler le réseau “tweeter” et au vu du passé des messages envoyés par ce compte qui prend des positions assez fortes dans le débat, ça m’a fait douter que c’était un compte sérieux d’une institution publique…



J’ai visité le compte Twitter de l’OFII : ils ont désactivé la possibilité de répondre sous leurs tweets à moins d’être mentionnés.




heu… tu veux dire que




  • Avant: si tu étais bloqué il fallait accéder en anonyme… et donc tu ne pouvais pas répondre.

  • Maintenant: tu peux y accéder en connecté… mais tu ne peux pas répondre.


Mais ils ont l’excuse qu’ils ne bloquent pas une personne, mais qu’ils bloquent l’ensemble des réponses pour des raisons de charge de la modération etc


encore une belle institution neutre payée par nos impots …


L’admin du compte Twitter doit être modo Reddit sur r/france en perso’, excusez-le il a tout confondu.